Episode 4 – Patience…

Episode 4 – Patience…

Les jours sont gris, inlassablement gris. Le ciel, les infos, gris. Mais, enfouies sous terre, se trouvent nos petites graines d’espoir.

On est à ce stade de la saison où il n’y a rien. Où ce n’est plus vraiment l’hiver, pas encore le printemps. Où il n’y a ni soleil, ni chaleur, ni pluie, ni froid. Où il ne fait que gris. Où il n’y a rien. Ou presque. Des graines. Beaucoup de travail. Et de l’espoir.

On est à ce stade de la saison où tout ce que l’on fait est pour les graines que l’on a enfouies dans l’humus.

On les a choisies, ces graines, en plein coeur de l’hiver, au chaud, près du poêle à bois, des soirées durant, consultant des catalogues, choisissant au coup de coeur. Des tomates miel du Mexique! Un nom prometteur, sucré, juteux, qui annonce les fruits qui éclatent sous la dent aux apéros d’été, puis une variété tardive, qui résiste au mildiou, pour offrir des tomates à l’automne encore, on l’espère. Des choux-raves violets, des physalis (vous savez, ces petits fruits oranges qui décorent les gâteaux et les desserts – aux communions, souvent…), des poivrons allongés. Des petits plaisirs qu’on se fait, pour découvrir un goût, une plante, une culture, à côté des grands classiques de saison, ceux qu’on connaît, qu’on cuisine facilement, qui réconfortent. Les carottes oranges, les choux-fleurs, brocolis, poireaux, les laitues, les épinards et les haricots.

Puis, Ben s’est lancé dans le casse-tête du plan de culture. Un truc de logistique complexe où il a décidé quelle variété serait plantée où, associée à quelle autre, et quand. Chaque planche a un cycle variable selon les légumes qu’elle accueille. Les radis poussent en un mois environ. Les carottes, que l’on sème en même temps, sur la même planche, continueront de pousser, plus bas dans la terre, et seront récoltées deux, trois mois après les racines rouges et rondes voisines. La planche sera alors à nouveau disponible pour nourrir de nouveaux légumes. Un vrai petit casse-tête, on vous dit. Surtout avec des dizaines de planches sur lesquelles il faut agencer les variétés selon le moment de récolte pour avoir des primeurs, des légumes en pleine saison ensuite, des tardifs enfin. On les a choisies. Pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes, nos graines.

On sait tout ça au moment où on sème chaque petite graine. Pourtant, on a l’espoir. On sait qu’on va y arriver. On sait aussi qu’on va en baver. Qu’on aura envie de baisser les bras.

On a monté les serres, aussi. On les a remontées, quand le vent en a emporté les bâches. On les a re-remontées, encore, quand, cette fois, elles se sont déchirées. Pour protéger les graines du gel, du froid, du vent, les garder bien au chaud, nos graines.

On a travaillé la terre, à la grelinette, pour l’aérer et enlever les mauvaises herbes. Pour qu’elles aient la terre la plus riche possible dans laquelle se déployer, nos graines.

On a creusé les étangs. On y a tiré de lourdes couvertures de laine et de plastique. Jour après jour, on les a regardés se remplir de pluie. Pour les abreuver les jours sans averses, nos graines.

Nos premiers semis, en juin 2020.

Maintenant, on les attend, nos graines. On attend, on travaille, on garde confiance, on nourrit l’espoir. Parce qu’on sait que c’est leur destinée de pousser. Mais on sait aussi qu’elles doivent en franchir des obstacles pour y arriver. Il y a le froid et le gel, et eux, ils ne nous laisseront pas tranquilles avant la mi-mai, on le sait. D’où les couvertures, les toiles, les serres. Il y a le vent qui vient gâcher tout ça aussi, parfois. Et même quand une petite pousse verte écarte la terre de sa tête… Il y a le froid, le gel, le vent, puis, il y a les limaces et les larves. Et même quand, minuscule pousse devenue grande, on l’a replantée de sa petite case de terre à son immense planche de culture… Il y a le froid, le gel, le vent, les limaces, les larves, puis, les campagnols, le lièvre qui vient prendre son petit déjeuner tous les matins sur la parcelle, l’altise pour les choux, le mildiou pour les tomates, les larves de taupin pour les salades. Plus tard, après le gel, il y aura la canicule, la sécheresse, le manque d’eau.

On sait tout ça au moment où on sème chaque petite graine. Pourtant, on a l’espoir. On sait qu’on va y arriver. On sait aussi qu’on va en baver. Qu’on aura envie de baisser les bras. Quand le matin, en arrivant au terrain, on apercevra le squelette métallique de la serre, nu, sans bâche, quand on verra des salades flétries, bouffées au collet pour les larves, quand on devra refaire ce qu’on a fait la veille, refixer, réparer, semer à nouveau. On sait que, dans ces moments-là, on pensera que rien ne poussera jamais, que la saison est foutue, que c’est trop dur. Mais c’est pour ça qu’on est deux, même si c’est avant tout et surtout Ben qui trime. C’est pour ça qu’on est deux, deux têtes de mule, deux optimistes.

Alors, quand viendront les premières fraises, après une année de patience, on guettera les fruits rougis et on les portera à la bouche avec un sentiment mêlé de plaisir gourmand, de soulagement et de satisfaction.

Et notre micro-ferme, on y croit. Même quand la nature nous rappelle qu’elle est impitoyable. Même quand on nous dit que c’est trop cher, le bio, que le maraîchage, c’est pas rentable, qu’on n’y arrivera pas. Même quand c’est tuile après tuile après tuile. On continue à les semer, nos graines. On sait qu’elles vont germer, qu’elles vont pousser, qu’elles donneront un fruit. Et que ça nous procure du plaisir, de les voir ainsi s’épanouir.

Elles ont du sens, nos graines. Elles sont les petits cailloux que l’on sème pour des choses auxquelles on croit – une alimentation bio, proche des gens, à faible émission, respectueuse de la nature -, que l’on sème pour faire grandir notre ferme, pour la réaliser telle qu’on l’a rêvée. Elles sont notre route, notre façon de voyager, notre chemin semé d’embûches, de surprises et de petits bonheurs.

Alors, quand vient la première aubergine de la saison, née quand on n’avait pas encore de serre, grâce aux seuls rayons du soleil belge et aux soins procurés par Ben, oui, on s’arrête, on regarde et on sourit. Alors, quand il y a dans l’air une douceur printanière, oui, on la célèbre, on repasse au terrain après la crèche avec notre grand bébé de seize mois, on se promène en brouette, un grand sourire caché par la tutu, on boit une bière (nous, les grands) en regardant le soleil se coucher dans le creux de la vallée, derrière les éoliennes. Et quand viendront les premières fraises, après une année de patience, on guettera les fruits rougis et on les portera à la bouche avec un sentiment mêlé de plaisir gourmand, de soulagement et de satisfaction.

Elles sont tout, nos graines. Elles sont l’espoir. Quand il ne fait que gris.

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