Episode 7 – Un dimanche en famille

Episode 7 – Un dimanche en famille

Ou comment repiquer 300 plants de courges et de courgettes avec un bambin d’un an et demi.

Avec le montage des serres, l’installation des étangs et la laryngite de Ben qui l’a cloué au lit pendant une semaine, il y a du boulot à la ferme. Encore plus que d’habitude. On est en retard. Sur le planning, sur la saison. Le boulot de maraîcher, c’est une course permanente contre le temps. Il faut anticiper en permanence – quand viendra la chaleur, prévenir les pluies et les grands vents, préparer les planches à temps pour y replanter les pousses prêtes à se déployer – et réagir aux urgences – les tempêtes qui soufflent les serres, les nuisibles qui s’en prennent soudainement à une variété, les plants qui grandissent tout à coup et qu’il faut tutorer, replanter, soigner.

Du coup, le dimanche n’est jamais un jour de repos. Ben passe toujours jeter un oeil, arroser, ouvrir ou fermer les serres. Au minimum. Parfois, on y va à trois avant une balade ou un rendez-vous familial. Parfois, quand il sait que ça ne lui prendra pas trop longtemps, il y va avec Ernest, notre petit garçon d’un an et demi, qui veut tout faire. Ernest arrose, ouvre la porte de la serre, récolte (et mange) les petits pois, les carottes, les radis, les courgettes, les met dans les caisses. Et nous, on le regarde avec nos coeurs attendris de papa et de maman, fiers de le voir montrer tellement de bonne volonté. Parce que ça bosse, hein! Il ne s’arrête pas, il fonce. Il met ses petites mains sur les poignées de la brouette bien trop lourde pour lui en faisant des bruits de moteur. Il veut semer les graines de petits pois tellement vite qu’on finit par renverser une partie du paquet – un plant trône désormais fièrement au milieu de l’allée, souvenir de cette journée. Il arrache les carottes les unes après les autres, il tire et tire et ne s’arrête pas devant un plant de brocoli encore en pleine croissance… Travailler avec la ferme avec lui demande donc une vigilance de tout instant!

L’utopie, Morphée et le Gremlins

Ce dimanche-là, il y a quelques semaines, vu notre retard, on s’était dit qu’on allait vraiment bosser à trois à la ferme. Il faisait beau et chaud. Ce serait une chouette journée, on mangerait un bout sur la table de pique-nique, Ernest ferait la sieste dans la caravane et on planterait quelques dizaines de courges et de courgettes (ou dans la tête de Ben: la totalité des 300 plants). Les emplacements étaient marqués, plus qu’à repiquer. Simple! Le programme d’un dimanche idyllique en famille. Douce utopie de parents bercés d’illusions, aveuglés par l’amour pour leur enfant parfait…

Après la torpeur du dimanche matin et les préparatifs des valises de l’enfant (repas, tenues de rechange, lit-parapluie), nous arrivons donc à la ferme à l’heure du dîner. Mangeons, donc! Et vite! Avant de griller l’heure de la sieste et de passer du stade « fatigué » au stade « épuisé », avec mode Gremlins.

On fait de la place dans la caravane, on installe le lit-parapluie, on change la couche, lit une histoire, fait un câlin. Mais le petit Gremlins n’aime pas son nouvel environnement. Cette chambre aux allures de maison, pleine de fenêtres, au milieu de nulle part. Pourtant, nous travaillons juste sous ses fenêtres. On tente, chacun à notre tour, de le rassurer, de l’apaiser, de lui vanter les vertus de Morphée. Mais c’est un échec!

On rhabille le petit monstre, le couvre de crème solaire, le coiffe de sa casquette Bugs Bunny. Et c’est parti. On lui propose ses jouets à lui, les outils de jardinage, les doudous, le tracteur. Mais non, ce qu’il veut, c’est planter les vrais légumes avec les vrais outils pour de vrai. Alors, on lui montre, comment faire le trou, poser la plante, refermer la terre. Alors, fidèle à lui-même, il fonce. Il court dans tous les sens, tient les mottes de terre avec la délicatesse d’un enfant de son âge, marche dessus. Le coeur de Ben s’arrête: chaque plant représente des jours de travail, de soins et d’attention.

Vivre avec la ferme

Pause. On reprend. On lui réexplique, lui apprend comment tenir la motte avec ses deux petites mains, lui cherche un rôle. Il sera celui qui place la plante dans le trou creusé par nos soins. Et il remplit sa tâche à merveille. Il va super vite, ce qui nous pousse nous à creuser et reboucher plus vite encore. On avance bien. Mais le petit chat est fatigué. On retente une sieste. Nouvelle tempête d’émotions. Nouvel échec. Il n’en démord pas: il veut travailler avec nous.

La ferme est née en même temps qu’Ernest. Elle est le mode de vie qu’on voulait pour notre famille, il est la raison de cet engagement. Ben a acquis le terrain le mois de sa naissance. Au printemps suivant, nous allions tous les trois pailler et tendre les bâches sur la zone qui serait notre premier espace de culture, au milieu de cette verte et vaste prairie. Ernest a quatre mois et demi. Il dort, emmitouflé dans son siège auto. Plus tard, quand on commencera les marchés, ce sera à trois aussi. Ernest a huit mois. Il partage son temps entre le porte-bébé et la poussette. Et désormais, il est là tous les samedis matins avant la sieste (à la maison). Il passe faire un bisou à son papa après la crèche quand la soirée d’été s’annonce longue pour Ben, quand il faut travailler dans la serre par 30°C et qu’il vaut mieux attendre le soir, quand il y a trop choses à faire dans une journée, quand il faut récolter pour vendre le lendemain. Il fait visiter aux tontons et tatas qui passent par là le week-end. Il y boit son bibi du soir pendant qu’on installe la table à semis en urgence après le larcin de graines organisé par des rongeurs.

Parfois, je me demande si ce n’est pas trop pour lui, quand il est fatigué et ronchon, quand, quelques fois, on reste passé l’heure du coucher, quand on l’embarque une fois de plus en voiture. Et puis, je vois ce que c’est la ferme, pour lui. Il hurle « Papaaa » dès qu’on approche du terrain agricole. Il refuse catégoriquement de rentrer à la maison après un pique-nique en famille ou entre amis ou une journée bénévole. Il met les mains dans la terre, grignote les petits pois, marche dans les allées, arrose les semis, salue les clients, trouve des cailloux, transporte des bouts de bois. Et quand son papa lui propose d’aller faire un tour à la ferme, il fait oui de la tête et lui tend ses bottes. Parce que ce qu’il aime par dessus tout, c’est de faire comme papa et avec papa.

A l’heure du goûter, on se pose dans l’herbe, on déguste des petits gâteaux, on boit de l’eau, on fait un câlin. Ernest nous escalade et joue avec nos chapeaux. On reprend le travail. On repique courges et courgettes pendant qu’il décortique les glands des chênes du bois tombés sur la parcelle et les empile dans son tracteur. La journée se finit en douceur. Il est 18 heures. Notre petit garçon est épuisé. Pour une fois, quand je lui dis qu’on va rentrer, il n’oppose pas de résistance. Il me laisse porter son petit corps lourd dans l’auto et s’endort avant même que la voiture n’entre dans le village de Sorée, bouche ouverte, casquette à l’envers sur la tête. On aura planter trois lignes de courges. Ben continuera encore un peu sans nous. On est bien loin des 300 plants et de la méga journée productive qu’on s’était imaginée. Mais c’est sûr, entre le pique-nique, la crème solaire, les gâteaux dans l’herbe, les câlins à répétition au milieu des siestes manquées, le travail à la chaîne avec notre petit garçon qui en marque la cadence, c’était une très belle journée.

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