Pilote – Les caprices de Sophie

Pilote – Les caprices de Sophie

La micro-ferme de la Forêt, c’est aussi une histoire. La nôtre. Et j’ai eu envie, pour vous la raconter, de la feuilletonner, d’en faire un récit en épisodes, de la romancer. Un chouïa. Une manière d’allier le bonheur de la ferme au plaisir de l’écriture, de vous tenir au courant de l’évolution de notre projet, de garder une trace, un souvenir vif de nos débuts plus que rock’n’roll. Voici donc le carnet de bord de la micro-ferme. Le récit commence comme ceci…

Ramène-moi à la maison, construis-nous notre ferme. »

Ça ressemble à un caprice. A un fameux caprice. Cette phrase, c’est moi qui l’ai dite, un soir, en novembre 2017, à La Haye, en rentrant du bureau. Il faisait moche et j’avais pleuré sur mon vélo. Sans raison. Ou plutôt avec mille petites raisons. Après un an et demi passé à un poste dont j’avais tant rêvé et qui, pourtant, ne me correspondait pas. Après un an et demi loin de nos proches, nos familles, nos amis. Après un an et demi que Ben avait passé souvent seul, dans notre appartement, à bouquiner des jours et des nuits durant, à feuilleter des livres lourds comme des briques sur la permaculture et le maraîchage, sur la vie en autosuffisance et la forêt-jardin, sur les semences paysannes, les boutures et les décoctions, tant et tant qu’il en oubliait de dormir, jamais rassasié.

Il était temps de quitter cette vie d’expats qui nous allait si mal. C’était à son tour d’accomplir son rêve. Qui était en train de devenir le mien.

Alors, on est rentré, en juillet 2018. Au bout de six mois de galère, de recherche d’emploi et de logement. Ben a trouvé un petit boulot qui nous a permis de recommencer à zéro. J’ai retrouvé du sens dans mon métier, quelque chose qui me correspondait mieux.

Et on s’est mis en quête de notre ferme. On l’a cherchée de Mettet à Ramillies. On voulait une vraie ferme, en dur, en pierres, à retaper. On voulait habiter sur notre lieu de production, vivre avec les saisons, voir les enfants grandir au milieu des plantes, nous lever le matin avec la vue sur les champs, nous coucher le soir après avoir été faire un dernier tour dans les légumes, auprès des animaux, dans le verger.

Puis, Ben a eu un coup de coeur, pour une prairie, juste une prairie, toute simple, toute belle, sur les hauteurs de Sorée, rue Sur la Forêt. Une terre de 90 ares à l’abri d’un bois, avec une vue imprenable sur la vallée et ses éoliennes. Un lieu qui sentait la liberté. Et où il se sentait bien, et moi aussi. Il a sauté le pas et a acheté notre terre sans ferme, notre ferme sans édifice, à l’automne 2019. Pour la maison, on improvisera.

Là voilà, donc, notre ferme. La micro-ferme de la Forêt. A taille humaine et au coeur de la nature, protégée de hauts arbres.

Benjamin, 34 ans, en est la tête et les bras. Il a été étudiant, vendeur, commis de cuisine, ouvrier maraîcher, gérant de magasin, informaticien. C’est lui qui a inscrit ses valeurs dans le projet, lui qui en a dessiné le plan, lui qui pose les choix de culture, d’organisation, de vente, lui qui retourne la terre, sème, plante, récolte. Il a tout appris pendant ses nuits d’insomnie aux Pays-Bas, le nez dans les livres, les yeux rivés sur des vidéos pros et des tutos.

J’en suis la plume, les oreilles et les petites mains. Je m’appelle Sophie, j’ai 32 ans, je suis journaliste indépendante et aidante à la ferme. Je suis celle qui accueille les doutes et les réflexions, celle avec qui Ben brainstorme sur les choix des variétés, la configuration du terrain, les prix de vente, celle aux mains maladroites qui applique ses consignes dites avec patience et amour (le plus souvent) et prend ma respiration au champ dès que possible.

Ernest, notre bébé de dix mois, en est le moteur – et il faut l’avouer, quelques fois un peu le frein aussi.

Notre ferme, on veut l’intégrer dans la forêt qui l’entoure. On veut en être les invités discrets, laisser peu de traces, cultiver la terre mais à la main, sans la travailler, sans la polluer, la nourrir avec du compost et des paillages, juste ce qui est bon pour elle, ce qui vient d’elle, au fond.

La nature, on veut vivre avec elle et grâce à elle. On veut préserver les sols et aider la biodiversité, les oiseaux en installant des haies et des fruitiers, les batraciens en creusant une mare qui nous permettra de récolter les eaux de pluie de nos serres, les butineurs en plantant quelques fleurs qui nous servent de tuteurs pour les tomates et les concombres. On favorise les variétés anciennes et locales, adaptées à notre climat, et on exclut les semences hybrides F1. On associe les cultures pour rentabiliser au maximum un petit espace de production: on plante salades et choux-fleurs, radis et carottes  sur la même planche, on récolte les premiers, plus rapides à pousser, et on attend que les seconds arrivent à maturité. On crée des cercles vertueux: on associe, comme en cuisine, la tomate et le basilic, qui améliore la saveur du fruit, en stimule la croissance et éloigne certains insectes.

On veut puiser dans les ressources que nous offre le terrain. Le soleil nous permet d’arroser les plants grâce à une pompe fonctionnant sur panneau photovoltaïque. Le vent nous offrira bientôt de l’électricité aussi, grâce à une petite éolienne. Et l’eau de la mare sera filtrée pour laver les légumes. Le petit magasin, bientôt en construction, ne sera ainsi pas raccordé au réseau.

Notre ferme, on la rêve zéro émission.

Et puis, on la veut authentique aussi. On veut proposer des produits que l’on connaît, sur lesquels on sait tout ou presque, d’où ils viennent, comment ils ont été faits, par qui. On veut répondre à vos questions, que vous puissiez voir sur place comment nous travaillons et connaître ceux qui produisent votre alimentation. On veut recréer une relation entre producteurs et consommateurs, y remettre du sens, de la bienveillance, de la transparence, de la confiance, du goût, aussi. C’est aussi pour ça que je vous écris et que je vous écrirai encore. Il y a tant d’enjeux derrière ce que nous produisons, mangeons, consommons et qu’on veut vous en informer. Aussi, ça bouge pas mal à la ferme et on voudrait que vous puissiez nous accompagner, saison après saison.

Voilà, maintenant, vous savez tout! Qui nous sommes, nos petits parcours de vie, nos ambitions pour cette ferme, et surtout comment mon homme a répondu à mon caprice et nous construit, petit à petit, la vie de nos rêves…

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